Le fluorouracile est transformé au sein de la cellule en différents métabolites cytotoxiques qui seront incorporés dans l'ADN et l'ARN, induisant in fine l'arrêt du cycle cellulaire et l'apoptose (illustration).
À l'issue de la procédure européenne d'arbitrage de sécurité relative aux fluoropyrimidines (5-fluorouracile par voie parentérale, capécitabine, tégafur) et médicaments apparentés (flucytosine), les mesures de réduction de la toxicité instaurées en France (cf. Encadré 1) ont été retenues et sont désormais en vigueur dans l'ensemble de l'Union européenne. Ces mesures prévoient un dépistage du déficit en DPD (dihydropyrimidine déshydrogénase) avant l'initiation d'un traitement par 5-FU par voie parentérale, capécitabine ou tégafur (non commercialisé en France). Ce dépistage est réalisé à partir de la mesure de l'uracilémie (phénotypage).
Encadré 1 -Fluoropyrimidines, déficit en DPD et toxicité sévère : chronologie des événements
- 2018 : l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) préconise de dépister un déficit en DPD (dihydropyrimidine déshydrogénase) avant toute initiation de traitement par 5-fluorouracile par voie parentérale, ou par capécitabine (notre article du 13 février 2018).En effet, ces traitements d'oncologie administrés chez des patients présentant un déficit en DPD sont à l'origine de toxicités sévères, parfois d'évolution fatale. Ce déficit expose les patients à une surexposition aux fluoropyrimidines.
- Fin 2018 (notre article du 20 décembre 2018) : la HAS (Haute Autorité de Santé) recommande le dosage de l'uracilémie (taux sanguin d'uracile - phénotypage) pour dépister de façon fiable un déficit en DPD.
- Mars 2019 : initiation d'une procédure européenne d'arbitrage.
- Mai 2019 (notre article du 9 mai 2019) : sans attendre la décision européenne, la France conditionne la prescription, la dispensation en pharmacie hospitalière ou de ville, et l'administration du 5-FU (5-fluorouracile) ou de la capécitabine à la réalisation de ce test d'une part, et au résultat obtenu d'autre part. L'ordonnance doit mentionner la prise en compte des résultats du test.
Conclusions de l'arbitrage européen : les décisions françaises confortées
À l'issue de la procédure européenne d'arbitrage, la Commission européenne a validé :
- le risque accru de toxicité sévère associé à un traitement par fluoropyrimidines (5-FU voie parentérale et ses prodrogues orales : capécitabine, tégafur - cf. Tableau I) chez des patients présentant un déficit partiel ou complet en DPD ;
- l'intérêt de pratiquer un dépistage systématique du déficit d'activité en DPD avant d'initier ces traitements.
En France, il existe une spécialité topique à base de fluorouracile (EFUDIX 5 % crème), indiquée dans le traitement des kératoses et condylomes génitaux ; celle-ci n'est pas concernée par les mesures de dépistage systématique d'un déficit en DPD.
Tableau I - Fluoropyrimidines en France : deux principes actifs, le 5-FU et la capécitabine
Spécialités par voie parentérale |
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Spécialités à base decapécitabine |
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Dans l'Union européenne, les deux méthodes acceptées pour évaluer l'activité en DPD sont :
- le génotypage du gène codant pour la DPD (DPYD) : 4 variants du gène DPYD (c.1905+1G>A, c.1679T>G, c.2846A>T et c.1236G>A/HapB3) sont associés à un risque accru de toxicité sévère ;
- le phénotypage par mesure de l'uracilémie. Cette dernière méthode est celle retenue en France.
Ces nouvelles recommandations européennes conduisent à modifier et harmoniser les RCP (résumés des caractéristiques du produit) et notices des spécialités concernées, sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. Règles de prescription et de dispensation des fluoropyrimidines : pas de changement en France
En France, la méthode retenue pour évaluer l'activité en DPD étant la mesure de l'uracilémie (phénotypage), les taux élevés d'uracile dans le plasma indiquent un déficit en DPD :
- partiel en cas d'uracilémie > ou=16 ng/mL et < 150 ng/mL ;
- complet en cas d'uracilémie > ou= 150 ng/mL.
Le dépistage systématique d'un déficit d'activité en DPD conditionne la prescription et la délivrance des spécialités de 5-FU ou de capécitabine :
- le prescripteur mentionne sur la prescription "résultats uracilémie pris en compte",
- le pharmacien vérifie cette mention lors de la dispensation.
À l'issue de ce test, trois situations sont envisageables :
- test de dépistage négatif : il n'y a pas de contre-indication au traitement par fluoropyrimidines. La négativité du test ne garantit pas l'absence de toxicité sévère associée à ces traitements ;
- test de dépistage indiquant un déficit complet en DPD (estimé entre 0,01 % et 0,5 % de la population caucasienne) : contre-indication au traitement par fluoropyrimidines ;
- test de dépistage indiquant un déficit partiel en DPD (estimé entre 3 et 9 % de la population caucasienne) : le traitement par fluoropyrimidines expose à un risque accru de toxicité sévère, pouvant menacer le pronostic vital. Les précautions suivantes doivent être prises :
- réduction de la dose initiale en 5-FU ou capécitabine ;
- en l'absence de toxicité grave, augmentation des doses dans la mesure où l'efficacité d'une dose réduite n'a pas été établie.
Un suivi thérapeutique pharmacologique (STP) du 5-FU peut améliorer les résultats cliniques chez les patients recevant des perfusions continues de 5-FU. Traitement par flucytosine (ANCOTIL) : ne pas retarder l'initiation du traitement En revanche, en l'absence d'information sur l'activité en DPD, les recommandations relatives au dépistage d'un déficit en DPD diffèrent par rapport aux fluoropyrimidines :
La flucytosine (cf. Encadré 2), autre prodrogue de 5-fluorouracile utilisée pour les infections fongiques systémique, est également associée à un risque de toxicité menaçant le pronostic vital, en cas de déficit total ou partiel en DPD.
Lorsque ce déficit est connu, le traitement par flucytosine est contre-indiqué.
- l'initiation du traitement antimycosique ne doit pas être retardée, et un test préalable du déficit en DPD n'est pas recommandé (contrairement au traitement par fluoropyrimidines) ;
- en cas de survenue d'une toxicité confirmée ou suspectée, la mesure de l'activité en DPD peut être envisagée ;
- en cas de toxicité médicamenteuse, un arrêt du traitement par flucytosine doit être envisagé.
Encadré 2 - Flucytosine : spécialités et indications thérapeutiques
- ANCOTIL 1 % solution pour perfusion
- ANCOTIL 500 mg comprimé
Pour aller plus loin
Médicaments à base de 5-fluorouracile (voie parentérale), capécitabine, tegafur et flucytosine - recommandations européennes concernant la recherche du déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) (ANSM, 4 juin 2020)
Lettre aux professionnels de santé - Médicaments à base de 5-fluorouracile IV, de capécitabine ou de tégafur : dépistage du déficit en DPD avant l'initiation des traitements pour identifier les patients à risque accru de développer une toxicité sévère (sur le site de l'ANSM, mai 2020)
Lettre aux professionnels de santé - Médicaments à base de flucytosine (ANCOTIL) : Rappel des recommandations pour utilisation chez les patients présentant un déficit en dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) (sur le site de l'ANSM, juin 2020)
Recherche de déficit en dihydropyrimidine déshydrogenase en vue de prévenir certaines toxicités sévères survenant sous traitement comportant des fluoropyrimidines (INCA et HAS, 18 décembre 2018) Sur VIDAL.fr
Fluoropyrimidines : dépister les déficits en DPD pour réduire le risque de toxicité aiguë (13 février 2018)
Chimiothérapie par fluoropyrimidines : l'uracilémie est le test le plus fiable pour dépister un déficit en DPD (20 décembre 2018)
5-FU et capécitabine : nouvelles modalités de prescription et de dispensation en prévention de leur toxicité (9 mai 2019)